dimanche 27 octobre 2013

L'appel de Pierre Rabhi



"Il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu." Nous avons tendance en toute modestie à appliquer cette formule de Victor Hugo au mouvement Colibris. Parmi mes engagements, ma fonction de conférencier implique de nombreux déplacements en France et à l’étranger. Cette itinérance me permet de constater avec une grande satisfaction la multiplication de groupes se réclamant du mouvement.

Ainsi, des femmes et des hommes sont en train de préparer des oasis comme autant de réponses concrètes à la désertification sociale, économique et humaine qui affecte la société contemporaine. En effet, la conjoncture actuelle marque les limites du modèle sur lequel a été édifié le vivre ensemble national et planétaire. Nous avons beaucoup réfléchi à la pertinence ou la non pertinence du modèle qui a suscité une réflexion libre de toute autre considération que l’urgence d’un principe plaçant l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations. Cela résume tout ce qui nous motive depuis quelques décennies. 

Pris comme tout le monde dans le marasme d’une société qui, selon la formule de Alain Fournier "ne sait ou elle va, mais elle y va", on se sentait comme impuissant avec la menace la plus grave qui soit, à savoir la résignation. En ces circonstances, la tendance est à la désignation de boucs émissaires : l’État et ses institutions, la finance, et bien d’autres responsables. Cela n’est pas inexact mais ne peut suffire à nous dédouaner de notre responsabilité individuelle et collective. Finalement, la réponse la mieux ajustée en la circonstance nous a été inspirée par une légende amérindienne* : la part du colibri. Cette légende se passe de commentaires, elle exprime une incontestable vérité. Cependant, elle serait restée comme tant d’autres une belle légende, une belle métaphore stérile s’il n’y avait eu la volonté de la rendre socialement opérationnelle. 

C’est ici que commence l’histoire du mouvement Colibris avec l’engagement d’une petite équipe déterminée, soutenue financièrement par des donateurs confiants et solidaires. Le succès de cette initiative a dépassé nos espérances. Aujourd’hui, plus de 70 000 personnes se reconnaissent dans les valeurs de Colibris et suivent nos actions, des dizaines de groupes locaux se sont créés partout en France et constituent aujourd’hui une réelle force citoyenne. Dans les domaines de l’économie, l’éducation, l’agriculture, l’énergie, la démocratie... des centaines de projets ont émergé suite au lancement des forums citoyens et de la (R)évolution des colibris : une monnaie locale à Strasbourg, un éco-village près de Lorient, une plateforme de co-voiturage en Dordogne, une association de recyclage textile à Lille, une école à pédagogie coopérative dans le Périgord, sans compter les effets positifs qui, pour n’être pas visibles, n’en sont pas moins importants comme nous en avons de nombreux témoignages. 

Nous sommes en quelque sorte heureux d’être victimes de notre succès. Cependant, ce succès engendre encore plus de sollicitations, qui pèsent davantage sur l’équipe et provoquent même un déséquilibre financier. Notre engagement renforcé par la demande quasi exponentielle de citoyens en "transition" prend peu à peu la tonalité d’une politique de société, hors de toute appartenance politique partisane. Il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin en ces circonstances. Poursuivre et donner force à nos engagements devient un devoir. 

Pour ce faire, nous avons besoin que le soutien dont certains parmi vous nous honorent déjà se renouvelle et s’amplifie pour être ajusté aux exigences suscitées par le succès. Il n’y a aucun doute que, dans la sphère politique, de belles consciences tentent de faire le mieux qu’ils peuvent, mais dans une logique dont les fondements sont incompatibles avec une réalité devenue implacable. 

Nous sommes de plus en plus convaincus que certaines initiatives de la société civile sont porteuses d’avenir. Le mouvement Colibris les révèle et les révèlera encore plus largement. Nous sommes, je suis personnellement convaincu que notre appel sera entendu. Avec notre profonde gratitude, soyez assurés de notre détermination pour que les valeurs que nous partageons puissent être servies comme elles le méritent. 

Pierre Rabhi


(image cliquable)

* La légende du Colibri
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : "Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !"
Et le colibri lui répondit : "Je le sais, mais je fais ma part."

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